La décision de préemption est illégale si le bien immobilier visé n’est pas approprié à l’opération d’aménagement envisagée par la personne publique

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Lorsqu’il est saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre la décision de préemption, le juge administratif exerce un contrôle relativement poussé sur les motifs de cette décision.

Dans un arrêt de principe, le Conseil d’Etat a précisé que le titulaire du droit de préemption doit justifier, à la date à laquelle il l'exerce, de l’existence d’un projet d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme (mise en œuvre d’un projet urbain, d’une politique locale de l'habitat, d’une organisation, du maintien, de l'extension ou de l'accueil des activités économiques, du développement des loisirs et du tourisme, réalisation des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, lutte contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, renouvellement urbain, sauvegarde ou mise en valeur du patrimoine bâti ou non bâti et des espaces naturels) (Conseil d’Etat, 7 mars 2008, Commune de Meung-sur-Loire, req. n°288371).

Il va aussi jusqu’à vérifier si la mise en œuvre du droit de préemption répond à un « intérêt général suffisant » (Conseil d’Etat, 30 décembre 2014, Communauté urbaine de Strasbourg, req n°366149).

Ainsi, le juge vérifie la réalité du projet en vue duquel la décision de préemption a été prise, par un contrôle approfondi des motifs de la décision de préemption.

Un arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille (CAA Marseille, 14 mai 2018, n°17MA03198) donne une illustration intéressante de ce contrôle qui l’a conduit à confirmer l’annulation de la décision de préempter un immeuble à usage de bureaux prise dans le but de permettre l’aménagement de locaux (vestiaires et autres) nécessaires à un équipement sportif situé à proximité :

► Les collectivités titulaires du droit de préemption doivent justifier, à la date à laquelle elles l’exercent, de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement

« Il résulte de [l’article L 210-1 du code de l’urbanisme] que, pour exercer légalement le droit de préemption urbain, les collectivités titulaires de ce droit doivent, d’une part, justifier, à la date à laquelle elles l’exercent, de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date, et, d’autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l’objet de l’opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.

L’arrêté de préemption contesté a été pris aux motifs que l’acquisition des parcelles cadastrées section BK n° 421 et 423 situées en zone UD du plan local d’urbanisme permettrait l’aménagement des locaux existants nécessaires à l’équipement sportif envisagé, vestiaires et club house par exemple, étant précisé que ces derniers bénéficient d’un accès sécurisé depuis l’avenue Antoine Pinay.

Pour annuler cet arrêté, le tribunal a estimé que le fait que le bâtiment objet de la préemption initialement à vocation de bureaux se situe à une distance d’environ 500 mètres du projet d’équipement sportif et nécessite d’emprunter systématiquement l’avenue Antoine Pinay pour rejoindre le stade prévu, alors qu’il s’agit pour ledit bâtiment d’accueillir des vestiaires et un club house est de nature, à lui seul, à démontrer le caractère inadéquat du projet eu égard à l’opération initialement envisagée. Les premiers juges en ont déduit que l’auteur de la décision litigieuse avait fait une inexacte application des dispositions précitées de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme en décidant la préemption, laquelle ne revêtait pas un intérêt général suffisant…

Il n’est pas contesté et ressort des pièces du dossier que les parcelles préemptées sont situées à une distance de près de 500 mètres du projet d’aménagement sportif envisagé par la commune d’O... Par ailleurs, les cartes produites au dossier démontrent que seule l’avenue Antoine Pinay permet de relier directement ces parcelles au projet du stade du parc des expositions. La commune d’O… ne démontre pas que la réalisation d’autres liaisons viaires piétonnières ou non entre le bien préempté et le projet d’équipement sportif envisagé serait possible. Au surplus, la commune n’établit pas que ces liaisons permettraient de raccourcir la distance séparant les parcelles préemptées du projet envisagé.

Si elle ajoute qu’elle est propriétaire de plusieurs parcelles autour de ce projet, cette circonstance est de nature à démontrer que la collectivité possède des réserves foncières permettant l’aménagement d’accessoires indispensables à proximité immédiate du projet. Ainsi, ce dernier présente un caractère inadéquat compte tenu de sa localisation et ne constitue pas le complément indissociable de l’opération d’aménagement d’équipement sportif envisagée. Il est dès lors dépourvu d’intérêt général comme l’a estimé à bon droit le tribunal…

Il ressort des pièces du dossier que le projet d’aménagement sportif est situé en zone AUI du plan local d’urbanisme (PLU) en vigueur correspondant à une zone insuffisamment équipée, destinée à accueillir des équipements culturels de loisirs, éducatifs et de détente et en zone inondable. La zone UD dans laquelle se trouvent les parcelles préemptées est une zone urbaine à dominante résidentielle, constituée actuellement d’un habitat individuel diffus ou organisé…

La commune d’O.., n’est pas fondée à soutenir que la réalisation des locaux annexes aux équipements sportifs serait impossible dans la zone AU qui est constructible et où elle envisage d’édifier un stade, un complexe aquatique, un stand de tir et un parc paysager. Elle ne démontre pas que l’achat et l’aménagement du bâtiment appartenant à Pôle emploi situé en zone UD permettrait de réaliser l’opération à un moindre coût ... Il s’en suit que le motif tiré du classement des parcelles préemptées en zone UD ne permet pas de justifier la préemption en cause.

Il résulte de tout ce qui précède que la commune d’O… n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Nîmes a annulé [sa décision de préemption] ».

La contestation des motifs la décision de préemption a des chances sérieuses de succès si elle repose sur des critiques précises et documentées du projet censé justifier la préemption. Avocat spécialiste